La position du témoin

Dans Feuilles d’herbe, l’auteur Walt Whitman affiche la position de “témoin impassible”. Une distance émotionnelle qui peut s’avérer bénéfique en cette période où vivre avec l’autre nous est parfois imposé. Cependant, le témoin, c’est aussi celui qui fait récit de l’événement - une narration qui produit des conséquences. Voici ce que cet atelier explore : la position du témoin, d’observateur neutre à narrateur facétieux.

Le témoin impassible

Nous voici confiné·e avec d’autres. Que nous aimons tendrement. Jusqu’à l’infini de nos quatre murs ? C’est sujet à tension dramatique. Parfois, nous souhaitons posséder le recul de Walt Whitman et nous métamorphoser en “témoin impassible”. Passif observateur ou observatrice, n’agissant pas, simplement là pour constater. Sans “critiquer ni moquer personne”, comme le suggère le poète. Pour favoriser cette position, nous pouvons décider de décrire chaque jour brièvement nos émotions dans un carnet, le soir.

Au cours de l’atelier d’écriture, lors d’une première phase, nous pratiquons une écriture de simple constat où nous nous efforçons de décrire sans interpréter.

Un regard désiré

La fiction se nourrit aussi de grains de sable. Alors imaginons que les autres ne nous laissent pas habiter la situation en tiers : qui n’a pas assisté à une dispute où les protagonistes exigent des témoins, parfois avec violence, de prendre parti ? Voilà la dramaturgie engagée.

Plus subtil, certains scientifiques affirment que le regard porté sur le champ de l’expérience en modifie les conditions. Même immobile, même impassible, nos yeux agiteraient le monde pour nous. D’ailleurs, le regard du témoin n’est-il pas désiré par certains, condition nécessaire à la réussite de certaines mises en scène domestiques, fantasmées, publiques (celle du procès en premier lieu) ?

Narrateur menteur

Précisément, inspirons-nous du témoin de justice. Le personnage accomplit sa fonction en deux phases : il vit la situation, l’observe, puis il la restitue, en fait le récit. A-t-il de l’imagination ou de la malignité qu’il peut biaiser le compte-rendu à deux reprises - en jouant sur la véracité des faits qu’il rapporte et sur la narration qu’il en tire. Le narrateur-menteur, une position de voltige.

Sans compter qu’au tribunal ou en famille, le témoin a le loisir d’endosser le rôle de celui qui “dissipe les doutes, lève les refoulements, révèle certaines vérités cachées.”* En somme, d’impassible, le voilà potentiellement explosif. Feesten n’est pas loin.

Je ne critique ni ne moque personne, je suis un témoin impassible.

Feuilles d’herbe, Walt Whitman

Témoigner de l’intérieur

Soyons-en conscients : le récit en position de témoin produit plusieurs effets. En premier lieu, celui de l’authenticité. Si le narrateur nous convainc qu’il a assisté aux événements dont il rend compte, nous les tenons pour véridiques. Une position que l’auteur de fiction détournera à son profit. N’oublions pas que nous baignons dans l’imaginaire. Même épris de réalisme, nous pouvons agréger plusieurs paroles de témoins réels pour bâtir notre histoire. Reste que témoigner de l’intérieur (c’est du vécu) permet de construire une crédibilité, mais aussi, par la force de cette voix crédible, de démolir des stéréotypes.

Évidemment, si l’on est porté sur la comédie humaine, on alignera des témoignages variés de la même situation afin de faire voler cet effet en éclats. La vérité est si dansante quand les regards se conjuguent au pluriel.

L’effet boomerang

Second effet du témoignage : il modifie le monde par ses répercussions dans le réel et sur la vie (intérieure) de celui ou celle qui témoigne. C’est l’effet boomerang.

Dramatiquement, le témoin peut s’identifier au besoin de dénoncer, à l’impératif moral d’attester de ce qui s’est produit. Il y a pour lui une urgence personnelle, cette parole à libérer peut représenter une issue : dire, ce serait vivre (à nouveau). A contrario, ne pas témoigner de certaines situations serait criminel : le narrateur se ferait complice, préférant le confort du silence. Puissance des moteurs dramatiques de la loyauté ou de l’appartenance.

L’atelier

L’atelier vous propose d’explorer la position du témoin, de simple observateur à narrateur facétieux. Sans oublier, naturellement, les ratés du témoignage, ses embardées et les joyeuses bifurcations qu’il peut emprunter. Du discours sec à la logorrhée, nous prendrons du recul mais resterons sensibles.

* ”Le témoin en psychanalyse et en thérapie familiale analytique”, Alberto Eiguer in Journal de la psychanalyse de l’enfant, Cairn.

L’atelier “La position du témoin” se tiendra en ligne (Zoom), le samedi 13 juin 2020, de 14h à 17h. Merci de vous inscrire à l’adresse avbelle@yahoo.fr ou au 0477 73 73 69.

Tarif unitaire : 30€. Tarif Les Ateliers du samedi : 100€ pour 4 ateliers au choix dans l’année.

 Crédit image : studio Ólafur Elíasson