Ils ont testé le futur pour vous

La Climate fiction s’inspire du changement climatique. Depuis l’apparition du genre, des auteurs reconnus ont utilisé leur talent pour imaginer à quoi ressemblera notre futur sur cette planète endommagée. Petite bibliographie subjective de ces romans qui ont testé pour vous cataclysmes à venir, bouleversements radicaux et tâtonnements d’une nouvelle humanité.

Par Anita Van Belle

Romans et romanciers de climate fiction

Cette sélection de romans regroupe des classiques de climate fiction régulièrement cités. Une bibliographie succincte, mais représentative. Les auteurs y apparaissent par ordre alphabétique. Seuls leurs ouvrages de cli-fi les plus emblématiques sont cités. Pour frémir, anticiper, frissonner, du Pôle Nord à l’Afrique.

. Margaret Atwood

Le dernier homme (2003), Le Temple du déluge (2009) et Maddaddam (2013) forment une trilogie dystopique ou une fable apocalyptique, selon le point de vue de l’interlocuteur. Margaret Atwood pose une humanité dévastée après une catastrophe écologique (Le dernier homme), puis une pandémie (Le Temple du déluge). Le petit groupe de survivants est composé de militants écolos à la ramasse et d’animaux mutants : liogneaux, porcons, malchatons… En définitive, les créatures transgéniques prennent le pouvoir - et ce n’est pas vraiment pire. Un indispensable déluré qui brasse nos futurs en tous genres et espèces.

[catastrophe écologique] [dystopie drôlatique] [transgénisme]

. Paolo Bacigalupi

La fille automate (2012) s’appelle Kumiko et c’est un jouet sexuel abandonné dans les rues de Bangkok, une “nouvelle personne” non-humaine. Sa beauté agira comme une étincelle dans le labyrinthe explosif de la ville, peuplée de personnages qui tentent de survivre : anciens soldats, mafieux ou hommes d’affaires sans scrupules, tels Anderson Lake, marchand de Calories pour la multinationale AgriGen, qui voit dans ce chaos sa chance de faire fortune. Guerres de gangs et rivalités entre politiques corrompus entretiennent la dynamique de ce roman, couvert de prix pour l’invention d’un monde à la fois terrifiant et foisonnant.

[calorie monnaie] [bioterrorisme] [cyberpunk]

Water Knife, 2016 plonge le lecteur dans une sécheresse impitoyable, qui brûle les états du Sud-Ouest américain. La guerre pour l’accès à l’eau fait des milliers de victimes collatérales. Mercenaire, Angel Velasquez, le “coupeur d’eau” du titre, s’assure par tous les moyens que la ville de Las Vegas demeure abreuvée. Sa rencontre avec Lucy Monroe, journaliste en quête d’une vérité suicidaire, n’y changera rien. L’amour est impensable quand d’antiques droits sur l’eau sèment dans leur sillage morts et condamnation à la soif de villes entières. Dixit le proverbe favori d’Angel : “Un homme doit saigner pour qu’un homme boive.” Violent, mais fascinant pour la description des nouveaux rapports de force entre finance sans âme et populations à la dérive.

[sécheresse] [migrations] [guerre climatique]

La fiction plus puissante que les rapports chiffrés pour évoquer le futur qui vient.

La fiction plus puissante que les rapports chiffrés pour évoquer le futur qui vient.

. Octavia E. Butler

La parabole du semeur (2017) met en scène Laureen Olamina, 15 ans. Fille de pasteur noir. Frappée d’hyper-empathie. Visionnaire. Prophète d’une nouvelle religion, dont le Dieu se nomme Changement. Auteur de sa bible : Semence de la Terre : Le Livre des vivants. Laureen fuit vers le Nord les drogués fous qui ont incendié le quartier de son enfance. Au long de la route, elle prêche et rassemble une communauté. Roman de résistance, La parabole du semeur est un livre indispensable, qui nous fait entrevoir une autre vision du futur, celle d’une auteure noire. Lecture urgente.

[2025 c’est demain] [peur de l’autre] [résistance]

. Jean Hegland

Dans la forêt (2018), la vie continue alors que Nell, 17 ans et Eva, 18 ans, voient lentement s’écrouler le monde du dehors après la disparition de leur père. Calfeutrées dans la maison de leur enfance, éloignées de la ville et de leur plus proche voisin, c’est au compte-goutte que les deux soeurs reçoivent des informations - ou plutôt des rumeurs - sur les causes de cet effondrement. Sans électricité, ni essence, comptant des ressources qui s’épuisent, Nell et Eva mûrissent et grandissent. Après l’avoir regardée de la fenêtre du salon et parcourue sans y songer, elles trouvent leur salut dans la forêt. Un roman sensuel, qui prend note avec simplicité de la disparition d’un monde et de la nécessité de se réinventer pour survivre.

[forêt] [sororité] [loin des guerres intergalactiques]

. Megan Hunter

La fin dont nous partons (2018), premier roman d’anticipation inclassable de la poétesse Megan Hunter, adosse cataclysme et accouchement, fin d’un monde et naissance d’une vie. Obligés de fuir Londres sous eau, une jeune maman et son mari, R, se mettent en route vers l’Écosse, désormais terre envahie de réfugiés en proie à une guerre civile. Mais le couple est rapidement séparé et la narratrice rencontre alors O, également jeune mère, avec qui elle se réfugie sur une île. Là, les deux femmes allaitent et attendent, leurs maris, le retour a une normalité inespérée. L’entièreté du récit est rédigé par bribes, à raison de deux ou trois phrases courtes par paragraphe. Il tient le pari de créer une fresque intime, qui dépeint avec autant de précision les conséquences de nos dénis écologiques que les sensations procurées par la maternité.

[catastrophe écologique] [maternité] [prose poétique]

Londres sous eau en 2090, les images d’un futur curieusement utopique du studio digital Squint Opera

Londres sous eau en 2090, les images d’un futur curieusement utopique du studio digital Squint Opera

. Maja Lunde

Une histoire des abeilles (2017) prend place dans trois périodes et trois lieux : l’Angleterre de 1852 (accès à la connaissance des abeilles), l’Ohio en 2007 (découverte de leur disparition) et la Chine de 2098 (disparition totale et pollinisation à la main par une population esclavagisée). Maja Lunde décrit en ces périodes et en ces lieux des familles, et plus particulièrement des pères, en proie aux difficultés de la transmission. Se replier sur sa vérité et la tradition ou sacrifier quelque chose de soi pour le bien commun et les générations suivantes ? La question donne son souffle au roman. Auteur norvégienne, Maja Lunde dramatise sans pédagogie l’histoire des abeilles et la manière dont notre rigidité ou notre aveuglement personnel peut mener à l’extinction d’un insecte indispensable aux plantes, aux animaux, aux hommes, à la vie.

[extinction des abeilles] [l’héritage des pères] [engrenage écologique][climate quartet 1]

Bleue ( 2019), second roman du “climate quartet” de Maja Lunde, explore les crises de l’eau, présentes et à venir. Signe, activiste écologiste, refuse de voir son glacier natal découpé en morceaux et vendu. Pour empêcher cela, elle quitte la Norvège et traverse l’océan sur son voilier, à la recherche de son amour perdu, Magnus, expatrié dans le Sud de la France et cause de cette destruction. Nous sommes en 2017 et l’accaparement d’un bien public pour le profit privé annonce le désastre à venir. En 2041, David et sa fille Lou fuient les Pyrénées en proie aux incendies et à la sécheresse. Ils sont arrêtés à la frontière, puis logés dans un camp de réfugiés climatiques. L’eau est une denrée rarissime, se laver est un luxe, boire une bénédiction. C’est le talent de scénariste de Maja Lunde d’entretisser ces deux fils narratifs pour composer une fin positive, qui court cependant le risque, comparée à la réalité des menaces, d’apparaître invraisemblable. Pas une raison suffisante pour se détourner du roman, cependant.

[crise de l’eau] [réfugiés climatiques] [activisme]

. Ian McEwan

Solaire vous fera rire puis grincer des dents, la satire carburant à l’énergie solaire étant irrésistible. Ian McEwan campe un personnage de prédateur narcissique, aussi désespérément égocentrique que les hommes politiques qui détiennent aujourd’hui le sort de la planète entre leurs mains. Ancien Prix Nobel primé pour ses travaux sur la photosynthèse artificielle, Michael Beard, Casanova bedonnant, tente de sauver son cinquième mariage, victime de ses infidélités. Ce faisant, il part pour le Pôle Nord, vole à son retour les idées de l’un de ses étudiants, dont il maquille le meurtre (c’était un accident). Il parcourt ensuite la planète pour répandre sa nouvelle théorie, poursuivant ses conquêtes minables, incapable de réfréner ses pulsions et courant à sa perte, parallèle ironique avec nos sociétés consuméristes.

[énergie solaire] [comédie] [prédateur narcissique]

. Nnedi Okorafor

Qui a peur de la mort ? (2018) ou Onyesonwy, dont c’est le prénom dans une langue ancienne, naît dans le désert, peau et cheveux couleur de sable, alors que sa mère, violée par un général ennemi, avait décidé de s’étendre pour mourir. Dotée de pouvoirs magiques, l’enfant est rejetée par les deux ethnies qui se combattent alors dans un génocide sanglant, les Nuru et les Okeke. Définitivement bâtarde, enfant Ewu dont on redoute la violence suite aux circonstances de sa conception, Onye se lance dès l’adolescence conquise à la recherche de son père, afin de le punir de son crime. Son voyage initiatique dans l’Afrique post-apocalyptique du roman l’amènera à affronter sa nature de magicienne. Après de multiples épreuves, Onye transformera le système qui a façonné le général meurtrier, plutôt que de tuer l’homme.

Surnommée “arme de création massive” par le New York TImes, Nnedi Okorafor, auteur jeunesse dont c’est le premier roman pour adultes, s’inspire de Castenada et de la culture Igbo de ses parents, immigrants nigérians, pour imaginer une magie cosmique, très différente de celle d’Harry Potter.

[afrofuturisme] [afrique post-apocalyptique] [génocide] [initiation] [magie]

Où trouver ces titres ?

Tous les romans cités sont disponibles à la bibliothèque Hergé, complice du Projet Climate fiction.